L’interview de l’ambassadeur d’Azerbaïdjan en France au Journal du Parlement
L’Ambassadeur azerbaïdjanais en France Rahman Mustafayev a accordé une interview au Journal du Parlement. Nous vous présentons le texte intégral de cette interviewe.
Vous venez de présenter vos lettres de créance au Président de la République... Comment envisagez-vous vos nouvelles fonctions et que représente la France à vos yeux?
Représenter l’Azerbaïdjan en France est un grand honneur et en même temps une énorme responsabilité. Tout d’abord, parce que nos deux pays se considèrent prioritaire l’un pour l’autre. Les deux parties sont déterminées à développer davantage cette coopération, ce qui pour nous, autres diplomates, impose une charge importante.
La France est une nouvelle affectation pour moi, mais à bien des égards elle est proche et compréhensible. Nos pays se distinguent considérablement en termes de taille des territoires et de leur rôle dans la politique et l’économie mondiales, mais il existe des caractéristiques communes entre eux. Les identités azerbaïdjanaise et française sont basées sur la diversité, la tolérance, la synthèse entre la tradition et la modernité. Nos sociétés sont pluriculturelles, ouvertes à l'interaction des cultures et des religions, à l'échange des idées et des connaissances. Tout cela crée un climat favorable et des opportunités pour élargir la coopération dans les domaines de la science, de la culture et de l'éducation.
Où en est le règlement du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan portant sur le Haut-Karabagh?
Malheureusement, la situation du règlement du conflit arméno-azerbaïdjanais du Haut-Karabagh laisse peu de place à l’optimisme. Malgré les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU adoptées en 1993 et de nombreuses résolutions des principales organisations internationales, les appels des co-présidents du Groupe de Minsk de l'OSCE … malgré tout cela presque 20% du territoire azerbaïdjanais demeurent toujours sous occupation des forces armées arméniennes. La violation des normes du droit international crée un précédent dangereux pour la sécurité et la stabilité régionales, ainsi que pour la fragmentation des Etats. Nous le voyons aujourd’hui en Europe, sans parler de la situation des Etats au Moyen-Orient.
Qu'attendez-vous de la communauté internationale et du Groupe de Minsk en particulier?
Nous attendons du groupe de Minsk de l’OSCE qu’il mette en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité adoptées en 1993 dans lesquelles les principes de règlement sont clairement définis. Ce sont :
• le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan dans le cadre de ses frontières reconnues internationalement ;
• le retrait immédiat, inconditionnel et complet des troupes arméniennes de tous les territoires occupés de l’Azerbaïdjan ;
• le droit inaliénable de la population expulsée des territoires occupés de l’Azerbaïdjan à retourner dans leurs maisons natales ;
• la détermination du statut définitif du Haut-Karabagh dans la République d’Azerbaïdjan avec l’assurance de l’égalité du droit à la sécurité et au développement de ses communautés arménienne et azerbaïdjanaise.
Ces principes constituent la base de notre position - l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan n’a pas été et ne fera pas l’objet d’un compromis, ni de discussions. L’Azerbaïdjan ne cherche qu’à vivre en paix sur son territoire.
La partie arménienne insiste sur l’autodétermination du Haut-Karabagh, jusqu’à la séparation, quelle est votre position par rapport à cette question ?
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est aujourd’hui un sujet d’actualité, en Europe même. Mais nous devons nous rappeler que nous ne vivons pas dans la jungle, où tout est décidé par la force, mais dans un monde où tout fonctionne suivant des normes et des règles internationales.
Premièrement, le droit international ne permet pas d’utiliser ce principe dans le but de violer l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un Etat souverain. La résolution N0 2625 du 24 octobre 1970 adoptée lors de la 25ème session de l’AG de l’ONU, souligne seulement que le principe de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes «ne doit pas autoriser ou encourager une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout Etat souverain et indépendant…».
Deuxièmement, la mise en œuvre de ce principe est incompatible avec la déportation et le nettoyage ethnique. Notons que les dirigeants arméniens n’ont parlé de ce principe qu’après l’expulsion des Azerbaïdjanais vivant en Arménie dans les années 1987-1988. Environ 250 mille Azerbaïdjanais qui vivaient dans leurs foyers ancestraux en Arménie ont été expulsés. Après cela, dans les années 1992-1993, les forces armées arméniennes ont chassé 45 000 Azerbaïdjanais du Haut-Karabagh, soit près de 24% de la population de cette région et 700 000 personnes de 7 régions adjacentes occupées de la République d’Azerbaïdjan. Alors, qu’en est-il du droit à l’autodétermination pour ce million d’exilés ? …
Par conséquent, je crois que le principe du droit des peuples à l’autodétermination intéresse peu l’Arménie. Il est simplement instrumentalisé pour justifier l’agression et l’occupation des territoires azerbaïdjanais.
Troisièmement, le peuple arménien a réalisé son vœu à l’autodétermination en 1991 et a construit son Etat. L’Etat dans lequel, après le nettoyage ethnique dans les années 1988-1991, il n’existe que les Arméniens, mais pas du tout les représentants des autres ethnies. Il n’y a, de fait, aucune raison historique, culturelle, politique, légale pour construire un deuxième Etat arménien sur les territoires azerbaïdjanais. Aujourd’hui, plus de 20 millions d’Azerbaïdjanais vivent en tant que groupe compact en Iran, approximativement 200 mille en Géorgie, plus d’un million en Russie et plus de 2 millions en Turquie. Cela signifie-t-il que nous devrions exiger la création du «Grand Azerbaïdjan» et redessiner les frontières de ces pays sous prétexte que ces Azerbaïdjanais peuvent revendiquer le «droit des peuples à l'autodétermination»?
Quelle est la situation des réfugiés et des populations déplacées aujourd'hui ?
La situation des réfugiés et des personnes déplacées est un problème sérieux pour l’ensemble de notre société. C’est un fardeau lourd pour l’économie de notre pays, car il s’agit d’un million de nos concitoyens, soit plus de 10% de la population qui a été privée de tout, à la suite à l’agression de l’Etat voisin. Au cours des années 2001-2017, le Gouvernement azerbaïdjanais a créé une centaine de villages dans lesquels près de 250 000 personnes ont déjà été installés. Toutes les infrastructures nécessaires pour une vie normale ont été construites dans ces villages. Notons que l’Azerbaïdjan a résolu seul ce problème grave pour lesquels L’Etat a dépensé 5 milliards de dollars entre 1993 et 2017.
Par principe, nous ne considérons ces mesures –réalisées à titre humanitaire –que comme temporaires. Notre position officielle reste la libération des territoires occupés et le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leur foyer d’origine.
Visiblement, les parlementaires de l'APCE restent préoccupés par la situation des droits de l’Homme et le fonctionnement de la justice en Azerbaïdjan. Où en sont les efforts de votre pays en la matière ?
Nous sommes ouverts à toute critique si elle est constructive et fondée sur le respect mutuel, le dialogue et la coopération. En même temps, nous sommes contre les campagnes de désinformations et des attaques diffamatoires dirigées contre notre pays. Quant à nos efforts au sujet des droits de l’Homme, le Parlement azerbaïdjanais a voté récemment, plus précisément le 20 octobre 2017, la loi sur l’humanisation du système juridico-judiciaire et la décriminalisation des peines prévues par le Code pénal de l’Azerbaïdjan.
Cette loi a été accueillie positivement au sein de l’APCE, car elle rapproche notre système juridique des normes européennes et nous sommes décidés à poursuivre nos actions en ce sens.
Après une année 2016 difficile, avec une croissance négative du PIB, quel regard portez-vous sur la situation économique actuelle ?
Cette année, nous avons enregistré une croissance positive du PIB. Sur 9 mois en 2017, la croissance du PIB dans le secteur non –pétrolier s’est élevée à 2.5% et dans l’industrie non-pétrolière à 3.1%. A cette période, le budget a connu une augmentation de 19%, le commerce extérieur de 7%, les réserves de devises quant à elles, ont atteint 42 milliards de dollars.
Les projets d’infrastructures sont réalisés avec succès, et les entreprises françaises participent activement à plusieurs d’entre eux. Je tiens d’ailleurs à attirer l’attention des parlementaires et des hommes d’affaires français sur l’émergence en cours d’une nouvelle économie non-pétrolière en Azerbaïdjan, qui représente déjà 62% du PIB. Aujourd’hui, nous développons précisément les secteurs dans lesquels les entreprises françaises ont de l’expérience et de l’expertise. C’est une très bonne base pour le rayonnement de la coopération commerciale, des échanges économiques et de l’investissement avec la France.
Quelle est la place de l’Union européenne dans la politique extérieure de l’Azerbaïdjan?
L’Union Européenne est l’élément le plus important de la stratégie d’équilibre de la politique étrangère azerbaïdjanaise. Notre orientation pro-européenne est naturelle, concrète et mutuellement bénéfique. L'Azerbaïdjan, qui apporte des contributions importantes à la sécurité énergétique européenne, sert de pont dans le dialogue et la coopération entre l’Europe et l’Asie, l’Europe et le monde musulman.
25 ans après la restauration de l'indépendance de votre pays, comment se traduisent les relations bilatérales franco-azerbaïdjanaises?
Nos pays sont partenaires et alliés dans la résolution des problèmes clés de l’agenda régional et international tel que la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme religieux, le développement durable et le dialogue interculturel. A Paris, l’on apprécie la politique indépendante multidimensionnelle de l’Azerbaïdjan, ses relations denses et équilibrées avec les principaux acteurs mondiaux et régionaux - la Russie, l’Europe et les Etats-Unis, la Turquie et l’Iran, Israël et le monde arabe, qui contribuent fortement à stabiliser la région.
Dans les domaines économique, culturel et éducatif, nos pays sont liés par un large éventail de partenariats et de projets. L’Azerbaïdjan est le premier partenaire commercial de la France dans la région : plus de 800 entreprises françaises ont exporté leurs produits vers l’Azerbaïdjan en 2015-2017. L’Université Franco-Azerbaïdjanaise (UFAZ) œuvre avec succès à Bakou.
Quels sont les points forts de votre pays qui mériteraient, selon-vous, d'être mis en lumière?
L’Azerbaïdjan est un modèle de la diversité, du dialogue interculturel et interreligieux ou encore, de la tolérance. C’est un pays qui fait face une situation d’agression extérieure et d’occupation et alors qu’il s’inscrit dans une région explosive, il ne connait pas le terrorisme, ni l’extrémisme violent.
Il continue de mener une politique constructive, bâtissant de véritables ponts en matière de coopération culturelle et économique entre les régions voisines. Je crois que ce modèle mérite le respect et le soutien de l’Europe et en particulier, de la France.
Quel message souhaiteriez-vous adresser à la classe politique française, par l’intermédiaire du Journal du Parlement?
Le 28 mai 2018, nous célébrons le centenaire de la proclamation de la 1ère République d’Azerbaïdjan. C’était 1ère République laïque, démocratique dans le monde musulman, avec un Parlement qui ne représentait pas seulement les partis politiques, mais aussi les minorités nationales. En juillet 1919, cette République a accordé aux femmes le droit de vote pour la première fois dans l’Orient musulman et bien avant de nombreux pays européens.
Et pourtant, cette première République azerbaïdjanaise a été inspirée par les idées libérales françaises et sa reconnaissance internationale est venue également de la France. Son premier président a été enterré à Paris.
En d’autres termes, cette République et cette date lient étroitement nos deux pays.
Je voudrais que ce centenaire en 2018 soit marqué par de nouvelles réalisations pour le développement de nos relations bilatérales et j’appelle les Parlementaires de l’Assemblée Nationale française à faire partie de ce processus.